Insouciance naïve

Publié le par Philippe Macaud dit Philou

Cette nouvelle a été écrite pour participer au concours de la ville de Surgères. Les gagnants dont je ne fais pas parti ont été publié dans un recueil disponible à la Librairie des thés de Surgères.

 

Insouciance naïve

 

 

 

 

Le soleil brille haut dans le ciel, il règne en maître sur les cieux. La douceur est printanière et la campagne se pare de ses plus belles couleurs. Le lin vient de fleurir, les petites fleurs bleues contrastent avec le jaune du colza. La brise ondule les champs et caresse les plantes comme un amant posséderait sa compagne. Les arbres d’un vert tendre se dressent fièrement projetant leurs ombres fraîches aux pieds des haies. Le parfum des fleurs embaume l’atmosphère éphémère d’un printemps à la douceur enivrante. Les oiseaux chantent le renouveau de la nature et entament des parades nuptiales remplies d’amour. Eric trouve ce calme charmant et apaisant, il pense que le jaune et le bleu fait écho au vert qui les entoure. La vue aurait été superbe si, là au milieu de nulle part, il n’y a pas, comme des pieux enfoncés dans le cœur du paysage de son enfance, des éoliennes. Elles sont gigantesques, d’un blanc immaculé sous le soleil de l’après-midi. Leurs grandes pales tournent lentement et attirent le regard du promeneur. Dominant la vue, elles gâchent l’impression enchanteresse du paysage campagnard. Eric, crispé, ne voit qu’elles. Comment les autorités ont-elles pu abîmer le magnifique décor de sa jeunesse ? Personne n’a rien dit à leur construction, tout le monde a laissé faire et râle à présent contre ces horribles monstres. Mais Eric a un plan diabolique qu’il mettra en place dans les prochaines heures. Il va retrouver le tableau de ses jeunes années. Il a mûrement réfléchi, il s’est renseigné sur internet. La semaine précédente il a confectionné des bombes. C’est sûr, quand la lune éclairera la campagne, disparaîtront les éoliennes qui défigurent son environnement bucolique. Rien ne l’arrêtera, sa décision est prise: il les détruira toutes les six. Il s’imagine déjà que par les soirs d’été, il irait dans les sentiers, picoté par les blés, fouler l’herbe menue, sans voir ces satanés producteurs d’énergie verte. Il attendra les premières heures du matin pour faire son attentat anti-écolo car il est certain qu’au cœur de la nuit il n’y aura personne passant à ce moment-là. Il fera du mal aux éoliennes sans faire de blessés.

Trois heures du matin, la lune est pleine, radieuse, elle illumine la campagne d’un bleu velouté. La ciel dégagé va laisser Eric accomplir son méfait. Les ombres de la nuit vont danser un rock endiablé. Il range les six bombes dans sa voiture. Tout au long de leur confection, il a pris soin de les manipuler avec des gants. Il démarre et part placer les bombes au pied des éoliennes. Il ne rencontre pas âme qui vive. Les détonateurs sont connectés à son smartphone, il les déclenchera au moment voulu. Quand il est éloigné à distance raisonnable, il regarde les lumières rouges des éoliennes clignoter une dernière fois et il appuie sur l’écran tactile de son téléphone. Le silence lunaire de la campagne est interrompu par une énorme explosion, un flash illumine les champs endormis l’espace de quelques seconde. Les lumières rouges des éoliennes clignotent toujours au-dessus du ciel nocturne. Eric n’en revient pas, il a mal calculé son coup, la charge explosive ne devait pas être assez forte. Soudain, il remarque le paysage se teinter d’orangé à plusieurs endroits. Qu’a-il fait ! Il a déclenché un incendie ! Il parait évident qu’il n’a pas mesurer toutes les conséquences d’un tel acte et il ne peut pas prévenir les pompiers !

Il file à vive allure jusqu’à sa maison. Il est dépité et se sent penaud. Là, dans le silence de la nuit, sur sa terrasse, Eric regarde clignoter les éoliennes encore et encore. Plus le temps passe plus il voit le feu prendre de l’ampleur. A présent l’enfer vient de commencer et les flammes dévorent la campagne toute entière. Il en a gros sur le cœur d’avoir commis une bêtise pareille. Il entre dans son salon, se dirige vers le bar et se sert un grand verre de cognac pour se remettre de ses émotions. Il va s’allonger dans sa chambre mais il n’arrivera pas à fermer l’œil de la nuit. Au petit matin les pompiers viennent sonner à sa porte. Un feu dévaste la campagne et menace le village, il faut fuir au plus vite. Il est blanc comme la lune de cette nuit catastrophique, il ramasse quelques affaires et monte dans sa voiture pour aller chez sa sœur en ville, à une dizaine de kilomètres. La route est envahie de fumées grises et noires, les flammes dansent dans les champs et les haies. Elles mangent toutes les belles couleurs de sa campagne. Il fait chaud, la route défile sous son regard médusé. Eric transpire dans sa voiture, il réalise qu’il est l’auteur de ce carnage tout en niant son sentiment de culpabilité. Fébrile, il prie les Dieux de son enfance pour ne pas se faire prendre. Il ne se confie pas à sa sœur, il ne veut pas l’impliquer, il garde son vandalisme pour lui. D’après les journalistes le feu est criminel, des bombes qui devaient faire tomber les éoliennes l’ont déclenché, la police recherche le ou les incendiaires. Eric s’enfonce dans le canapé, blafard. Il se fait tout petit. Évidemment sa sœur s’aperçoit de son malaise mais elle ne s’imagine pas une seconde que son frère puisse être l’auteur de ce drame. En secret il espère ne pas avoir commis d’impair et surtout ne pas avoir laissé d’empreintes ou de traces ADN. Au pire, pense-t-il, il n’est pas dans leurs fichiers. Une chose est certaine: il ne se dénoncera pas à la police, il ne veut pas assumer les conséquences de ses actes et surtout il ne veut pas être enfermé dans une cellule, il se sent claustrophobe rien que de s’imaginer en prison. Et puis, pour l’instant, il n’y a que des dégâts matériels, personne n’a été blessé, pas même un pompier. Au fond de lui, cependant, il se juge coupable, coupable d’avoir détruit le paysage de sa jeunesse, il est pire que ces fichues éoliennes.

Le feu est presque éteint et le danger de l’incendie pour son village a été écarté. En rentrant chez lui, Eric réalise l’ampleur des dégâts. A l’abri des regards, dans sa maison, il pleure toutes les larmes de son cœur meurtri. L’énormité de sa bêtise et sa naïveté provoquent chez lui des spasmes de douleur autant physique que psychologique. Il est encore plus dévasté que la campagne qu’il aime tant. Dehors des fumées s’échappent encore du sol noirci par la suie. L’odeur de brûlé inonde le village de son âcreté. Les arbres et les champs calcinés font peine à voir. Les oiseaux ne chantent plus. L’atmosphère est lourde, chargée de particules électriques. Toutes les belles couleurs, à cette époque de l’année, ont disparu, elles se sont évanouies laissant place à un tableau de Soulages. Le noir domine le monde végétal, si lumineux il y a quelques jours, et donne au printemps un goût d’hivers sombre. Là, au milieu de ce paysage apocalyptique, fièrement dressées, trônent les éoliennes, seules rescapées du massacre irresponsable d’Eric. Elles continuent d’hypnotiser le promeneur avec leurs lents mouvements circulaires. De grandes traces noires parcourent leur pied et les fumerolles, encore présentes, laissent à penser que le feu pourrait reprendre au moindre souffle de vent. Au-dessus de ces champs funestes, le ciel azur ne laisse pas espérer que les nuages noirs l’envahissent pour fondre de pluies et calmer le feu prêt à s’embraser à nouveau.

En voulant se débarrasser des éoliennes Eric a sonné la fin de ce qu’il chérissait le plus au monde. La poésie de son environnement, la tranquillité et le calme bucolique de sa campagne l’ont poussé à commettre un acte odieux au nom de la nostalgie des paysage de sa jeunesse. En quelques sortes il a refusé la modernité en ne considérant pas les éoliennes comme les moulins à vent d’aujourd’hui. L’agression du modernisme, dans ce qu’il aimait par-dessus tout, l’a conduit sur une pente glissante, guidé qu’il était par une insouciance naïve. Eric ne s’en remettra pas, l’apocalypse, qu’il a provoqué dans son environnement, prendra corps dans son esprit, ce paysage ravagé le possédera. Il sombrera, condamné par sa conscience , dans la folie existentielle.

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